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EXTRAIT

Dernière mise à jour : 1 nov. 2020


EXTRAITS

Le parfum des roses

ST-Paul 1993

Une ombre sale aux formes incertaines sortait lentement de la nuit par une lumière froide lointaine inaccessible.

Un visage d’une pâleur bleutée apparut, il semblait sourire mais d’un sourire figé. Son regard effrayant fixait le vide. Il s’effaça lentement pour laisser paraître l’horreur d’un corps nu, sans tête, sans peau, le ventre béant, vidé de ses organes. Pendu au bout d’une chaîne, il se balançait sur l’immense portail de fer du jardin des plantes. Un crochet de boucher planté dans son cou jouait une musique macabre sur la grille.

Une pointe de lumière apparut soudaine, blanche, aveuglante, jaillie du néant. En grandissant, elle éclairait une rivière de sang qui couvrait le sol de carreau blanc et noir.Un aigle aux ailles déployées le regardait fixement sans bouger.

Le cœur affola ses battements, la gorge se serra et l’air vint à manquer, l’angoisse grandit.

« Je suis mort ?…Merde !…Je suis mort ! Comme un con…Et tout ce sang !… Et cette foutue lumière ! J’ai mal ? Pourquoi ma blessure me fait mal ?

Ha ! C’est quoi cette brume ? Bon sang ou suis-je ?

D’où vient cette plainte, et cette respiration ?… J’ai froid. Et cette lumière !

Des perles de sueur mouillaient son front tandis que ses paupières fermées trahissaient son agitation quand une main se posa sur sa poitrine.

L’étouffement retint son cri.

– Monsieur Talamoni, Louis ! dit une voix douce, on se réveille!

Louis eut quelques difficultés à s’arracher à son tourment. Il hocha la tête, pour signifier à sa logeuse qu’il avait saisi le message. Il mit la main devant ses yeux pour cacher la lumière du plafonnier.

– Vous avez rêvé. Je suppose que c’est encore ce cauchemar ?

Louis émis un grognement qui voulait dire oui.

– Cela faisait longtemps qu’il vous laissait tranquille.

C’est terrible ce fait divers. Revenir comme cela vous torturez. Vous avez une explication ?

Louis ébaucha un non de la tête.

– J’étais montée vous dire qu’on vous appelle au téléphone.

Dame Rose, comme l’appelaient gentiment ses pensionnaires avait les rondeurs qui seyaient à sa bonhomie. Elle abhorrait un sourire permanent agrémenté de jolies lèvres charnues.

Sous une frisure blonde un visage poupin témoignait dans chacune de ces expressions, de la douceur. Son charme n’avait pas d’égal. La cinquantaine de ses artères n'aggravait en rien sa fraîcheur naturelle.

Le corps brisé, le front glacé Louis Talamoni sortit enfin de son cauchemar. Il put articuler :

– Merci Rose, je descends.

– Je vous apporte votre déjeuner ? demanda Rose qui était aux petits soins pour son pensionnaire.

– Ne vous dérangez pas, je le prendrai en bas.

Il poussa d’un geste lent les draps trempés de son sommeil agité et posa un pied mal assuré au sol.

Ses mains noueuses voulurent coiffer ses cheveux grisonnants. Elles s’arrêtèrent sur ses yeux, comme s’il voulait en arracher les images qui troublaient encore son esprit.

Louis Talamoni, commissaire de police de son état, était arrivé tant bien que mal à six mois de ses cinquante ans.

Un passé mouvementé au S.A. (Service Action) puis au contre-espionnage lui avait laissé quelques cicatrices au corps et à l’âme.

Célibataire et sans famille, il s’était résolu à vendre la demeure familiale héritée de ses parents, pour revenir à ses premières amours : l’arrière-pays niçois. Un petit village médiéval près de Vence où il comptait cultiver sa passion : la peinture dans le parfum des roses de mai.3

Pour éviter de se laisser distraire, il avait résumé son espace de vie au confort rudimentaire d'une chambre spartiate, que lui louait « Dame Rose » dans sa pension de famille. L’aspect vieil France et le charme discret de cette résidence convenaient parfaitement à la quête de paix à laquelle il aspirait.

Sa longue carrière l’avait un peu désespéré de la nature humaine. Il avait côtoyé l’horrible dans toute sa définition, à tel point qu'il lui était devenu familier. Une nouvelle norme que les mots ne suffiraient pas à renverser.

Par instinct de survie, il s’était fait à tout.

Ses révoltes de jeune homme ainsi que ses illusions finirent par se taire sous le cuir durcissant. Il espérait avoir réussi à conserver son intégrité, mais ses souvenirs lui 33faisaient encore douter de lui. Aussi, une blessure restait-elle ouverte et ne cessait de donner à son vécu un goût d’inachevé : celui d’une page qu’il ne pouvait tourner et qui nourrissait ses colères muettes.

Il venait de compter sa dixième année d’exercice aux Stups après vingt ans aux services secrets.

Quoique différent de ses anciennes missions, son univers n’était pas mieux loti.

Cependant les règles avec le temps s’étaient modifiées. Les trafics intéressaient une autre clientèle, plus jeune, plus violente.

La retenue n’avait plus droit de cité. Le meurtre devenait un langage fréquent et la technologie rendait les recherches plus pointues.

Pour préserver un semblant de confort moral, Louis avait trouvé une formule : il s’abstenait d’être, se mettait en congé de lui-même pour laisser toute la place au Commissaire Talamoni : un fonctionnaire bien noté, relativement bien payé, sans plus guère d’état d’âme. Une mécanique bien huilée

Ce jour-là en se rasant, Louis Talamoni n’eut pas un sourire pour lui-même. Ces nuits agitées l’épuisaient. Mais ce qui le fatiguait le plus, c’était son impuissance.

Il avait l’impression de se battre avec des épées en bois face à des kalachnikovs.

Le trafic international auquel il s’adressait ne jouait pas le même jeu que lui. Les douanes fer de lance du métier, sont parfois sur le cul face à l’ingéniosité des passeurs.

– ah ce téléphone ! Pensa-t-il agacé. Il aurait aimé se couper du monde pour devenir un ours des Carpates ou un ermite.

Il avait choisi cette pension pour son éloignement et le peu de ses fréquentations.

Disposé près de sa fenêtre, donnant sur le parc d’oliviers et de lavandes, avec pour tout horizon les Alpes.

Une toile de lin blanchie attendait patiemment sur son grand chevalet de bois, la caresse d’un pinceau.

Souvent Louis se tenait devant elle pour y projeter le dessin de ses rêves. Il était une promesse jusqu’alors inaccessible.

Avant de pénétrer dans la salle de bain, Louis passa doucement le doigt sur le corps long des tubes de peintures dont le chant des couleurs restait muet.

Parvenu au bas de l’escalier face à la porte vitrée du jardin, sur la commode de bois verni, le téléphone était décroché. Louis le raccrocha puis le décrocha à nouveau. Il composa le numéro mille fois usité.

– Talamoni ! dit-il simplement

– Chef ! dit une voix au bout du fil ; il s’est évadé !

Après un long silence …

– Je sais !

– Comment ça : vous savez ?

Il ne crut pas nécessaire de répondre. Près du téléphone, un journal était ouvert. Un décès était annoncé ; le nom rappela quelque-chose à Louis : celui de Rossi.

Le clan vingt ans plus tôt

Vence 1974

Immigrés Siciliens au début du siècle, la famille Rossi avait conservé intactes les traditions et les pratiques des origines.

Descendant d’un grand-père évadé sous peine de mort du village de Corléone en Sicile, dont la réputation mafieuse n’était pas surfaite.

Les générations qui suivirent prirent soins de respecter à la lettre, les préceptes du Pépé mafioso.

C’est ainsi que la réputation s’était établie dans le Canton. Enviés et redoutés, ils avaient su façonner leur pouvoir sur le voisinage. La crainte qu’ils inspiraient imposait l’omerta, indispensable aux « affaires ».

L’héritier de la lignée des Rossi, s’était marié à la très belle Julie, fille de fermier, héritière de nombreux hectares de riches terres. Elle était morte en couche, laissant un mari dépressif jusqu'à‘ à finir fou.

Celui-ci désigna son fils aîné Alberto pour la gestion des affaires de la ferme. Tonio, Maria et Luce, dite Lucette la petite dernière, vinrent compléter la fratrie.

Alberto Rossi trouva dans le trafic d’armes entre autres, les ressorts de son expansion.

La place n’était pas aisée à prendre ; elle se négociait parfois dans le sang. Son héritage et ses contacts mafieux le prédisposaient à ce type de pratiques.

Son implication dans des forces spéciales : le SAC favorisa grandement son réseau. Les promesses d’un marché juteux ne mirent pas longtemps à se faire jour. Les conflits mondiaux offrirent à Alberto Rossi toutes les opportunités possibles. Sa réputation de sérieux favorisa les contacts.

Les changements de gouvernements, ne modifiaient généralement que très peu les charnières des décisionnaires. Le fleuve de dollars arrosait toutes les berges. L’abondance est souvent irrésistible aux plus vertueux.

Parfois, le suicide ou l’accident est nécessaire pour ceux qui tentent de le détourner ou d’arrêter le courant du fleuve. Alberto maîtrisait parfaitement la barque, et peu de gens prenaient le risque de la faire chavirer.

La fratrie volcanique des Rossi avait conservé sa culture paysanne. Elle s’était enracinée dans son nouveau terroir comme le châtaignier centenaire qui du haut de sa majesté dominait la ferme. Elle ne laissait guère place à la fantaisie, ce qui révoltait Lucette l’adolescente.

La prospérité des Rossi dans les années 60, ne devait cependant rien à l’ère industrielle.

L’afflux touristique et l’appât du gain, aux dépens des traditions, avaient eu pour conséquences de manger les terres agricoles.

Les Rossi têtus par nature, ne cédèrent en rien à cet engouement pour ces « étrangers » comme ils disent.

Une farouche radicalité contribua à leur conférer une réputation de sauvages.

Cet apport de modernité qu’imposait la société, suscita des réactions proches de la haine.

La prospérité n’oublia pas cependant la famille Rossi. Mariage bien arrangé et puis, au cours du temps, les acquisitions de terres riches vinrent grossir le domaine familial.

Une telle fortune ne manqua pas d’étonner le voisinage mais comme il est de principe : on ne met pas son nez dans les affaires des autres.

Si les jalousies s’exprimaient, elles ne se faisaient qu'à voix basse. Certains ne manquèrent pas cependant de relier cette manne aux absences africaines d'Alberto qui, disaient-ils, sentaient la poudre.

Tonio le cadet, était un petit homme noueux comme les troncs d’arbres de ses collines. Une face rougie, burinée, au nez en galoche, surmontait une mâchoire de carnassier dans une bouche sans lèvres.

Sous sa casquette de para qu’il ne quittait jamais, il n’avait rien d’un drôle. L’héritage génétique disait qu’il souffrait d’un atavisme qui sous un choc, pouvait se réveiller pour se traduire comme son père par la folie.

En bon observateur, son frère Alberto, devant son comportement se disait que des doutes subsistaient.

Son physique disgracieux et chétif chercha une compensation dans une extrême violence. La religion se voulait être le socle de sa pensée, disait-il.

L’art de la guerre se mêlait savamment à l’inspiration divine.

Tout devait découler de Dieu et parfois, il se sentait inspiré par lui, au point de penser qu’il en était un peu le porte-parole.

Craignez la main de Dieu ! disait-il souvent en brandissant la sienne. Cette attitude exigeante était sporadique, elle variait selon les humeurs.

Silencieux comme un pape, Il imposait du regard à son environnement un diktat de maître absolu.

Ses yeux durs rougis par la chopine, suffisaient à éteindre toute velléité de résistance.

Jamais personne n’avait connu de lui un sourire ou un geste d’amitié. Il en était devenu une caricature d’homme pour son voisinage. Tous le craignaient et dans son dos l’appelaient « Le fou » sauf son aîné, dont le pouvoir n’était pas contesté.

Alberto gérait plusieurs hectares d’oliviers et des champs de lavande. À l’inverse de son frère, il était bâti comme une armoire normande. Doté d’une force de taureau, il sut sans peine s’imposer au mauvais caractère de son jeune frère.

Il garda cependant une relative méfiance pour cet être dépourvu d’apparence flatteuse et qui, à plusieurs occasions s’était montré dangereux.

Si la force physique de ce petit frère n’était pas évidente, une nervosité excessive nourrie par une philosophie primaire, en faisaient un être à part.

L’oncle comme on appelait Alberto dans la famille, ne fut pas étonné quand Tonio avait voulu poursuivre une activité dans l’armée. Il n’a pas pu fait carrière comme son frère en raison de son handicap mental hérité de son père. Tonio se contenta d’être le porte-flingue, le préposé au coup tordu ce dont il jouissait.

En effet, l’histoire dit qu’enfant, à chaque bêtise qu’il commettait, son père lui dessinait une croix dans les cheveux, ou bien l’attachait à un arbre ou encore le jetait dans le purin.

La haine qui imprégna sa vie en serait la conséquence.

On lui prêta des aventures en Afrique, des trafics d’armes, ce qui devait justifier son train de vie.

Maria la cadette, s’occupait des comptes et de l’entretien de la famille. Fidèle aux traditions, elle se faisait un devoir d’être transparente.

Douce par nature, elle avait cependant hérité d’une grande force de caractère ce qui lui permettait d’imposer, dans ce qu’elle jugeait être ses prérogatives, ses décisions.

Très religieuse, elle se gardait bien de juger ses frères sans pour autant suivre leurs pratiques.

En maîtresse consciencieuse, elle s’appliquait avec rigueurs à tenir équilibrés les plateaux de la balance.

La famille Clément, proches voisins de la famille Rossi, avaient pour coutume de pratiquer son culte dans la même paroisse, du petit village médiéval de Tourrette sur Loup. Si les parents ne se fréquentaient pas, il n'en était pas de même des ados.

De ce fait Laurianne Clément dite Lio s’était liée d’amitié, dès sa plus tendre enfance avec Lucette : benjamine des Rossi.

Elles avaient grandi ensemble et partageaient les mêmes jeux et les mêmes rires. Elles n’avaient aucun secret l'une pour l'autre.

Leur beauté n’avait pas d’équivalent dans le proche voisinage. À 16 ans elles étaient rayonnantes, ce qui faisait d’elles de potentiels trophées de chasse pour la gent masculine.

Pourtant cela n’était pas chose aisée : une garde prétorienne protégeait les donzelles. Le goupillon de Monsieur le curé, était une arme officielle. Il s’agitait beaucoup pour affirmer ses principes.

Le conseiller pacifique pouvait devenir menaçant.

Pour les deux amies le fruit défendu n’avait que plus d’attrait.

La comédie que leur inspirait la menace les amusaient beaucoup. Jouer les petites filles modèles quand on se veut canaille les ravissait.

Il n’en allait pas de même pour le cerbère.

Tonio plus âgé qu’elles de 10 ans, représentait une tout autre menace. Pas très bavard pour ce qui est des principes, mais très pratiquant, il s’avérait plus efficace par la gestuelle, dans la distribution des baffes.

Avec lui elles n’avaient pas de moyens de finasser.

Les taloches arrivaient selon l’humeur. Son regard foudroyant était insoutenable et de ce fait, il avait acquis la confiance des parents. Avec un chaperon comme celui-ci, les oies blanches ne craignaient rien pour leurs plumes.

Toutefois, Lio n’avait pas droit au même traitement. Il n'avait pas l'autorité d'un frère et les non-dits ne manquèrent pas d'éveiller son attention.

En fait, Tonio cultivait un amour secret pour elle mais un amour effroyablement violent, nourri de fantasmes sexuels que le marquis de Sade n’aurait pas reniés.

Soupçonnant ses arrière-pensées, Lio résolut de n’y porter aucun intérêt particulier. Cependant elle s‘en amusait.

En fait Lio n’avait d’yeux que pour son ami Lucette.

Ce matin-là, tout le monde s’était préparé comme à l’accoutumée. Les beaux habits sentaient bon le vent des collines, les feutres avaient encore leur éclat et les chaussures brillaient du mieux possible.

Au beffroi de l’église les cloches sonnaient ce dimanche, l’heure de la messe.

Bientôt en file indienne toute la contrée allait défiler.

Tous viendraient s’arrêter à la pointe du nid d’aigle pour admirer la splendeur du paysage, comme un avant-goût du royaume céleste.

Comme souvent, les deux amies étaient restées en queue de peloton. Elles s’amusaient à décrire les aspects curieux du voisinage. La moquerie était pratique courantes et les rires mal étouffés.

– J’ai pas envie ! dit Luce, j'ai pas envie, j'ai pas envie j'ai pas envie ! Répéta-t-elle, affichant une petite moue de bébé.

– T’as pas envie de quoi ? Demanda Lio, en riant.

– J’ai pas envie d’y aller !

– Où, à la messe ?

– Oui, et toi ? Demanda Luce

Elle se mit à rire. Les yeux brillants d’espièglerie.

Lio plus réservée ne put retenir un sourire ou la crainte de l’immanence divine ne parvenait à s’estomper.

— Ces péchés… dit-elle, le petit Jésus va nous punir. Le sourire se fit rire. Et la main de Dieu va s’abattre sur nous comme la misère sur le pauvre monde.

— Comme dit mon père : « C’est la main de Dieu qui punit » c’est toujours mon père qui a la main de Dieu, il a dû négocier cela contre une vache. Elle est lourde, ce qui signifie que Dieu est costaud, il doit faire du sport.

– Tonio a dû hériter de la main de ton père, précisa Luce.

– Il en a du moins l’usufruit.

– L’usufruit défendu, bien sûr.

– Et des fendues ?

– C’est nous ! » dirent elles en cœurs.

Elles éclatèrent de rire, ce qui fit tourner les têtes du voisinage. Pourtant personne ne se hasarda à émettre une opinion. On ne commente pas publiquement, les agissements des Rossi, on murmure.

La petite déambulation de la communauté à travers les rues du village vers l’église, passait à proximité d’une petite ruelle. Luce saisit la main de Lio et l’entraîna.

– Viens, dit Luce on va se baigner dans le Loup.

– Et jésus ?

– T’inquiète ! Il est fixé y bougera pas.

Lio mit sa main sur sa bouche pour étouffer son rire et la suivit, après avoir marqué un temps d’hésitation.

L’aventure est au bout du chemin et a seize ans elle est irrésistible.

Il ne leur fallut pas longtemps pour traverser le petit village, passer sous la voûte de pierres, pour s’enfoncer dans le cœur de la forêt toute proche, où coulait nonchalant un petit cours d’eau.

Elles connaissaient bien le lieu. Toutes à leur aventure, dans l’euphorie de la désobéissance, elles ne remarquèrent pas que quelqu’un les observait.

Elles suivirent un sentier qui descendait au fond de la vallée. Cachée dans un nid de verdure sous la voûte de grands arbres, il s’ouvrait sur un chemin qui les conduisit à un gouffre naturel, où dormait une eau cristalline.

Une petite plage de pierres fines la bordait. L’endroit avait été nommé « le paradis des amours cachés » par les habitants du village.

Il méritait bien son nom, des roches de pierres bleues dominaient le bassin. Des lianes de fleurs se jetaient dans l’eau.

Un petit bruit de clapotis témoignait de la source qui nourrirait « le loup ». « Allez voir le Loup » avait beaucoup Inspiré les imaginations.

Le lieu était propice à la baignade, malgré sa fraîcheur mordante.

Les rires n’avaient pas cessé, l’effeuillage des corps fit voler une à une la fine lingerie et au plus haut volèrent les culottes dont l’une resta accrochée à une branche.

Parvenues à la nudité la plus totale elles se mirent à sauter, dans des éclats de rires, pour récupérer la dentelle rebelle. L’exercice n’engendra pas la mélancolie.

Le spectacle sembla intéresser le visiteur. Dissimulé dans les feuillages, il regardait avec grand intérêt ces délicieuses nudités s’ébattre dans l’eau.

Une danse lascive sous la caresse de l’eau anima les deux corps. Un jeu de séduction sembla vouloir s’opérer, dans des petits cris de désir murmurés.

Un ballet de fines mains se fit douces caresses. Les frôlements plus affirmés semblaient surprendre délicieusement la peau de Lio qui se mis à frissonner.

Le sourire sur ses lèvres disait tout son émoi.

— Oui, murmura-t-elle comme une invitation.

Luce plus affirmée, dirigeait la valse des amours.

Ses lèvres gourmandes se mirent à explorer d’un frôlement les contours de la bouche de son amie pour descendre entre ses seins.

Plongeant sous l’eau le geste fut précis, il parvint aux délices quand les jambes s’écartèrent.

Les baigneuses profitèrent un long moment de la fraîcheur de l’eau jusqu’au moment où un long baiser proposa d’autres figures.

Le sable blanc couvert par endroits, d’un lit de mousse accueillit les corps enlacés.

Lio toute à son trouble vivait enfin la passion retenue depuis sa plus tendre enfance. Les « je t'aime » ruisselèrent comme pluie au soleil.

Au-delà de la douceur charnelle, c’étaient leurs êtres qui se révélaient. Leurs yeux brillants de passion se mouillèrent de larmes. Le flux des mots se perdait dans les souffles altérés.

À bout de forces elles vinrent lascives, s’allonger sur la large roche bleue. La blancheur de porcelaine de leurs corps éclatait au soleil.

Leurs formes harmonieuses inspirèrent le visiteur inattendu.

L’excitation avait gagné son point culminant. N’y tenant plus, il poussa plus loin sa pratique et descendit son pantalon pour faire surgir son sexe afin de pousser plus avant sa masturbation.

Il eut du mal à contenir sa respiration.

Après un temps, les esprits retrouvèrent le contrôle.

Lucette allongée sur le ventre, leva son buste et se posa sur ses avants bras. Ses seins généreux se libérèrent.

Lio, posa son regard sur eux. Un trouble la gagnait, sa main voulut suivre le galbe du mamelon.

La douceur de la peau produisit un frisson dans ses reins. Elle se pinça les lèvres sans doute pour retenir les mots qu’elle n’osait dire.

Ses yeux plongèrent dans les yeux de Luce pour y deviner un consentement, une invite.

Luce ne dit rien, sa langue fit le tour de ses lèvres sensuellement.

Le message était clair. Lio le reçut mais ne sût plus que faire ; c’était pour elle une expérience nouvelle, même si elle était l’aboutissement d’un désir profond.

— Ils sont beaux. dit-elle seulement

Sa main se détacha du sein pour venir caresser le visage.

— Tu es belle. Poursuivit-elle.

Lucette avait ce petit côté canaille qui lui faisait oser parfois, goûter aux fruits défendus.

Comme l’enseignait la revue érotique que cachait Monsieur le curé, elle avait bien noté où se cachait le péché. Il lui était donc aisé de le débusquer, pour en apprécier la saveur.

– Je préfère les tiens dit-elle en mouillant ses lèvres.

Les miens ressemblent à des œufs de poules malades, en serrant les mamelons et puis, tu as un cul d’enfer. Un petit rire accompagné d’une œillade coquine vint balayer toute ambiguïté possible.

– Où as-tu appris cela ?

– Dans mon livre de messe, dit Luce en riant.

Ses yeux suivirent toutes les courbes de son corps. Sa main, délicate, caressa sa tête et suivi la chevelure de son amie, le long de son dos pour s’arrêter à l’échancrure de ses fesses.

– Tu me le prêteras ? dit-elle dans un murmure à bout de souffle.

Un regard interrogea Lio « puis-je ? » Semblait-il demander. La réponse ne se fit pas attendre. Lio ferma les yeux. Le consentement était formulé.

La pointe fine de sa langue se mit alors à explorer les méandres de sa peau, en quête de délices suaves. De douces griffes excitèrent ses dorsaux jusqu’au dôme fessier, faisant naître un tapis de perles de sueur.

La langue s’arrêta à la pointe de la faille, d’où émanait une douce tiédeur. Sournoise elle n’hésita pas à s’infiltrer dans la gorge profonde. La coïncidence voulut que les jambes s’écartèrent.

Ravie de l’opportunité, elle suivit sa destinée. Elle chemina d’une fesse à l’autre avec le violent désir de mordre.

Visiblement sans surprise, elle se trouva confrontée à une douce toison dorée.

N’écoutant que son courage elle poursuivit sa route jusqu’au délice suprême d’un fruit rose humide de ses humeurs, qui s’offrait à elle comme une ultime récompense.

Des soupirs mêlés à de petits cris témoignaient du ravissement. Les délices qui suivirent furent grandement partagés. Le fruit s’avéra d’autant plus divin qu’il était défendu.

Lio fixa le regard de son amie, ses lèvres dessinèrent un sourire de plénitude.

– Tu es belle, dit-elle encore à bout de mots.

Sa main fit le tour du visage de Lucette pour enfin l’attirer à elle et déposer le souffle d’un baisé sur ses lèvres.

Les regards se fixèrent avec gravité comme pour dire que ce geste signifiait le commencement d’une histoire d’amour.

Lio se pencha à son oreille et murmura quelques mots qu’elle n’osait encore dire à haute voix comme on cache un secret.

Luce surprise ne retint pas son rire. Elle ne s’attendait pas à une telle demande de son amie.

La provocation soudaine porta l’excitation à son comble.

Ne voulant pas s’en laisser conter elle joua le jeu, elle se jeta sur son amie en grommelant de gourmandise.1515

– Je vais te manger ! Dit-elle en prenant un sein dans sa bouche.

Lio ne retint pas son rire.

– Oui mange-moi et n’oublie pas mon petit minou !

– Oh ! Non surtout pas, le pauvre il est si mignon. Joignant le geste à la parole elle écarta les cuisses de Lio.

Étonnamment volontaire Lio, dépassant sa réserve coutumière, se cambra pour mieux lui offrir son sexe.

Luce, étourdie de tant de générosité de la part de la prude Lio, ne ménagea pas son plaisir.

Épilée avec soin, l’offrande laissait paraître de fines lèvres qu’une bouche reconnaissante vint ouvrir comme un fruit mûr.

Luce encore novice, hésita encore un peu toute étonnée de l’aventure.

Elle osa plonger sa langue dans le sexe afin de lui porter la caresse souhaitée, ultime, comme elle avait lu sous la couette, dans le livre défendu.

Elle s’appliqua à ne rien laisser paraître de son inexpérience.

A deux mains Lio saisit la tête de son amie pour l'attirer violemment sur son sexe.

– La main qui punit s’abattra sans doute, mais c’est trop bon!

La main ne lui laissa pas le temps de jouir.

Son ombre se porta sur elles, saisit Lio par l'épaule pour la rejeter en arrière.

– Dégage salope ! Cria Tonio.

Terrorisées les deux amies ne réalisèrent pas ce qui venait de se produire.

Tonio devant elles, écarlate de fureur venait de jeter Luce à deux mètres de son amie.

Jambes écartées Lio offraient encore son sexe à la vue de Tonio.

– Et toi, rentre à la maison, ton sort sera réglé plus tard.

Elle ne se le fit pas dire deux fois.

– Viens Lio, dit-elle

– Ne t’occupe pas de cette salope barres toi où je t’assomme.

Luce s’affola, elle tendit la main à Lio qui ne put la saisir. Elle parvint de justesse à éviter la gifle.

– Va-t’en Luce ! Cria Lio. Je me débrouillerai, il ne peut rien me faire.

Luce saisit son linge et se mit à courir toute nue, affolée, laissant derrière elle son amie qui cachait son sexe de ses mains.

– Tu n’as pas intérêt à la toucher cria Luce en sanglots, tu m’entends ?

Tonio ramassa une pierre qu’il lança sur sa sœur.

Cette dernière l’évita de justesse avant de disparaître derrière les arbres.

Il se retourna vers Lio qui ramassait ses affaires et commençait à enfiler sa jupe. Il la lui arracha des mains.

– Tu ne penses pas t’en tirer comme ça ?

Lio horrifiée tenta de faire un barrage de ses mains.

– Que veux-tu ? cria-t-elle apeurée.

– Je vais t’expliquer ! Dit-il en la saisissant par le bras et en la jetant au sol.

De l’autre main il défit sa ceinture, son pantalon descendit de lui-même. Son sexe raidi dépassait de son caleçon.

Il se mit à genoux et avec une violence peu contenue, immobilisa la jeune fille.

Cette dernière, affolée n’eut pour seule ressource que de lacérer le visage de son agresseur avec ses ongles.

La défense n’inquiéta pas Tonio, même si elle se débattait avec la force du désespoir ; rien n’y fit.

D’un geste ferme il lui écarta les cuisses ; ce qui libéra un cri de douleur. Elle fut prise d’un violent tremblement nerveux quand elle vit le sang couler de son sexe. Lio était vierge.


Fin du premier extrait

***********************

2eme extrait

Funeste voyage


La Chevrolet s’était lancée sur la piste dans un bruit de guimbarde. Malgré la rutilance de ses chromes elle n’avait pas inspiré grande confiance à ses passagers.

Le Frisé pour sa part en était très fier. Rare étaient dans le pays, ceux qui pouvaient se permettre une voiture de collection dans un tel état.

Attaché à l’ambassade de France comme homme à tout faire, il n’avait pas pu refuser de conduire ces clients. L’ordre avait été formel et ne souffrait pas de discussions. L’enthousiasme ne l’avait pas enflammé, la mission était périlleuse mais la prime était belle.

Louis Talamoni, alias Martin s’était résolu à embarquer avec ses hommes sous la houlette du frisé.

On lui avait imposé le bonhomme parce qu’il était le seul à connaître la destination.

Le personnage comme sa voiture n’avait pas réussi à gagner sa sympathie. La bouteille plate de mauvais alcool, qui dépassait de sa poche y avait contribué.

De son feutre, déformé par la crasse, coulait une tignasse, rouge, sale et frisée, jusqu’aux épaules. Une gueule de fin de parcours sous une barbe oubliée laissant échapper une haleine de fonds de poubelle. Il portait sous la peau le sable du désert qui dessinait sur son front une idée du Grand Canyon. En résumé « le mec sympa » le gendre parfait que l’on conseille à ses meilleurs amis.

Olvo et Pivert avaient pour habitude de suivre leur chef sans trop s’étonner. Pour l’occasion ils avaient émis quelques résistances.

Plonger dans un nid de vipère n’avait rien de jouissif.

Ils avaient pour cela revêtu des uniformes de la légion étrangère. Et visiblement l’humeur n’était pas à la rigolade.

Des armes lourdes reposaient sur leurs genoux. Elles bénéficiaient des meilleures attentions malgré les chaos de la voiture. L’angoisse nouait les gorges et interdisait toutes discussions. Les regards se portaient sur l’horizon en quête de signes d’une menace.

La route s’étendait dans un dédale de paysages aux « mille collines » verdoyantes, ou arides et désertique, traversés par une faune bigarrée, curieuse et parfois aux dents longues, qui n’invitait pas à la caresse.

Des troupeaux de vaches à très longues cornes de quatre-vingts centimètres et leurs bergers semblaient par moment vouloir les accompagner.

Louis ne gouttait pas la nonchalance de l’expédition. Le Frisé disait vouloir ménager son bien, aussi sa vitesse ne voulait pas excéder le 50 km/heure.

Les agacements de son passager n’y changeaient rien. Il laissait paraître sa peur. La cigarette oubliée sur ses lèvres n’avait cessé de trembler.

La tension gagna son comble quand la Chevrolet se mit à brouter. Les signes avant-coureurs de la panne n’étaient pas trompeurs, elle intervint rapidement.

Louis eut soudain des envies de meurtre.

– Et maintenant ! Demanda-t-il en se caressant la mâchoire pour ne pas mordre.

– Je ne comprends pas, fit le Frisé

– On est à cent bornes de toute ville, en plein désert, de toute habitation. On va crever de soif si on n’est pas bouffés par les fauves ou les rebelles et tu nous dis que tu ne comprends pas ? Cria Olvo dans son dos.

Il passa la main sur son crâne chauve dégoulinant de sueur. « Si tu ne fais pas démarrer cette poubelle j’y mets le feu avec toi dedans ».

– On s’affole pas, dit le Frisé, la petite a ses humeurs, elle supporte mal la chaleur. Je vais lui parler, j’ai l’habitude.

– Tu as intérêt à trouver les mots, lui conseilla Louis

Le Frisé fit le tour de la voiture et plongea dans le moteur. Une heure plus tard, la vieille mécanique faisait toujours la sourde oreille.

– Je crois que la messe est dite il faut revenir, fit le Frisé en sortant son téléphone de campagne, je ne vois que cela, on est à cinq heures de Nyungwe.

Comme pour fêter cela il sortit sa bouteille et s’envoya une grande goulée. Un sourire de satisfaction éclairait son visage. Il paraissait soulagé.

– Retenez-moi !!! dit Louis visiblement à bout de nerfs. Si je le vois encore sourire je lui fais bouffer son galurin.

Alors qu’il se résolvait à téléphoner, un nuage de poussière attira son attention. Il provenait de la route derrière eux.

Louis sortit de son sac une jumelle.

Dans la série : les emmerdes, saison deux. Conclut-il, dégagez de la route et allez vous enterrer, prenez les armes, on a de la visite.

Tant bien que mal le groupe parvint à s’enfouir dans les amas de terre et de pierres. Ils se couvraient de sable afin de se fondre dans le paysage.

Les dix minutes qui suivirent, furent d’une extrême longueur, comme celle du condamné dans l’attente de la lame du bourreau.

Frisé avait perdu son sourire, la peur qui l’agitait lui demandait de fuir. Il se releva. Mais la zone était désertique, aucun arbre, même pas un buisson. L’affolement le gagna, Louis compris que l’agitation du Frisé allait les faire repérer. La décision fut vite prise.

Un direct du droit foudroya la mâchoire du Frisé.

Ce dernier ne vit pas venir l’extinction des feux. Il s’allongea de tout son corps dans le sable. Quelques poignées de sable finirent de le dissimuler.

Le point sur l’horizon se précisa, il s’agissait de deux véhicules. Un camion sans bâche dans lequel se trouvait une vingtaine de guerriers armés de lances et de machettes.

Le deuxième véhicule était une auto mitrailleuse couverte elle aussi d’hommes armés tenant une nuée de drapeaux du FRP.

Parvenus à la hauteur de la Chevrolet, ils s’arrêtèrent. Une dizaine d’hommes sautèrent du camion pour la fouiller. L’auto mitrailleuse tourna son arme vers l’horizon à la recherche du propriétaire.

Une intuition commanda au servant de fouiller un peu le désert. Une rafale arrosa le sable juste au-dessus des têtes du groupe.

Le chef des rebelles ne sembla pas approuver le tireur.

Les munitions devaient être précieuses. Les hommes remontèrent sur les camions qui démarrèrent aussitôt. Perché sur l’automitrailleuse, en signe d’adieu un homme jeta un projectile sur la vieille guimbarde qui explosa. C’était une grenade.

– Elle a fini de faire des caprices, souffla Pivert.

– Y’a plus qu’à faire du stop conclut Olvo. Bon sang ! Cria-t-il soudainement.

– Qu’y a-t-il ? demanda Louis inquiet.

– La bouffe ! On a laissé la bouffe dans la voiture.

Le Frisé semblait vouloir sortir de sa sieste improvisée.

– Tu fais bien de te réveiller, le père Noël est passé. Fit Louis en se levant. Aussitôt il se recoucha. « Ne vous levez pas en voilà d’autres »

En effet des volutes de poussière s’élevaient à nouveau au bout de la route.

Quelques minutes plus tard un camion s’annonçait. À son approche on pouvait distinguer une croix rouge sur son flanc. C’était une ambulance.

Le groupe se précipita, la chance tournait.

À leur vue le camion s’arrêta.

Louis ouvrit la porte et voulu dire son plaisir mais les mots restèrent dans la gorge.

Claudia était au volant, elle pointait sur lui un revolver.

Sur ses lèvres un rictus pincé que l’on a contraint au silence.

Louis eut l’impression qu’elle allait tirer.

– C’est pourquoi ? demanda-t-elle avec une ironique froideur.

– Vous avez un désir de meurtre ?

– J’ai cru à une embuscade. Dit-elle sans conviction.

Devant la froideur exprimée, il laissa planer un doute.

Une forte incompréhension l’agitait. L’émotion violente qui l’avait troublé à sa rencontre avait du mal à vivre cette froideur. Il se demanda encore le pourquoi d’une telle attitude.

À ses côtés se tenait un gendarme. Louis prit place sur la banquette, bien décidé à éclaircir ce comportement.

Il feignit de ne pas tenir compte de l’accueil. Il étouffa sa surprise pour ne lui accorder que la manifestation d’une plaisanterie de mauvais goût.

D’un geste sec du menton il désigna la voiture en feu et fit signe à ses hommes d’embarquer.

– C’est de la folie. Vous êtes inconsciente, on meure là-bas.

– Je fréquente la mort depuis le premier jour de mon doctorat dans tous les champs de guerre, elle ne me fait pas peur, je l’ai voulu. Lança-t-elle sèchement.

– J’ai déjà entendu ce discours, il s’est tu sous une dalle de marbre. Louis prononça ces mots de façon à peine audible, comme s’il se parlait à lui-même.

– Je connais le prix du risque. Merci de vous soucier de ma santé mais réservez vos inquiétudes à vos hommes.

Le ton était sans fioritures mais sans agressivité excessive. « Et à vos victimes » poursuivit-elle.

Cette dernière phrase ne manqua pas de surprendre Louis tout comme le regard qui l’accompagnait.

Il se promit plus tard de dissiper ce mystère.

Il siffla le Frisé, pétrifié devant sa voiture en feu.

Deux autres gendarmes se tenaient dans l’ambulance. Louis en parut étonné. Ils étaient issus de tribus anciennement esclaves. Ils avaient gardé leur machette à la taille. Ils se tenaient droits, inexpressifs, leurs visages étaient scarifiés, les regards fixes dont les yeux rougis ne manquèrent pas d’impressionner Louis.

Fin du deuxième extrait


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Début du troisième extrait

Mauvais temps

Parvenue dans les faubourgs de Kigali, la berline s’infiltra dans la ville par un dédale de petites rues étroites. Il eut du mal à la suivre. Alors qu’il pénétrait dans un long couloir de maisons sans portes ni fenêtres, il eut la surprise de se trouver nez à nez avec un barrage de policiers qui le braquaient méchamment. Visiblement l’humeur était hostile.

Il fut arraché à son siège sans ménagement. Aussitôt ses mains furent attachées dans le dos. On ne lui demanda rien et quand il voulut protester, un coup de crosse l’envoya au sol.

Sans délicatesse superflue on le releva pour l’embarquer dans une Jeep, en compagnie de deux lascars. Ils présentaient des profils parfaits de condamnés à mort pour génocide.

Avant que la voiture ne redémarre, Martin à moitié dans les brumes, eut le bonheur de revoir sa veste en flanelle, qu’il aimait tant.

Son nouveau propriétaire, la joue encore tuméfiée lui adressa encore un sourire. Louis se rappela alors ce motard qu’il l’avait observé et auquel il devait sans doute sa disgrâce.

La caserne de gendarmerie n’avait rien d’une auberge de jeunesse aussi, l’accueil que lui fit le capitaine n’avait rien de chaleureux.

Sous son chapeau de feutre délavé, le visage noirci de terre, dans ces guenilles du meilleur goût, Louis dit Martin, dit Le corse, ne présentait pas sa plus belle allure.

Il fut gratifié d’une chambre qu’il comprit, de circonstance. Une cellule qui ne devrait pas générer l’ennui, vu qu’elle était en partage avec une dizaine d’hôtes habillés chez le même tailleur.

La sympathie qu’il inspira ne fut pas évidente. La franche camaraderie que dégageaient les visages évoquait le goulag. Il calcula machinalement son temps de survie qu’il jugea approximativement, à peu de chose.

La crasse formait le décor naturel du lieu. Par bonheur, le faible éclairage cachait les aspects de cette humanité. Seules des pointes de lumière sur la sueur des corps et l’odeur insoutenable de fosse septique témoignait de l’existence du vivant.

Louis fut déposé entre deux joyeux. L’état de leur décrépitude ne figure dans aucun lexique. Leurs mines plus déchirées que les chiffons noirs de sang qui les couvraient, donnaient une idée de la soirée de festivités qu’ils avaient vécu.

Le regard perdu sans expression, avait plongé dans les vapeurs de l’inconscience. Ils ne firent aucune remarque désobligeante quand le gardien, d’un savant coup de pied, dégagea une place pour Louis. Ce dernier ne se sentit pas obligé de le remercier pour tant de prévenance.

Il comprit que ses temps futurs ne seraient pas de ceux qu’il aurait souhaité.

Louis, qui n’avait pas tout à fait récupéré du coup qu’on lui avait porté, fut projeté sur un amas de corps réticents. Le cul finit par se poser sur ce qu’il identifia comme étant de l’urine.

Quand le flou de son esprit parvint à se dissiper, il se résolut à s’abstraire de sa condition pour se réfugier dans ses pensées. Un gros effort sur lui-même lui permit de retrouver un calme relatif. La peur qui ne l’avait pas quitté depuis son départ trouva la force de se taire. Ces années de métier dans les forces actives contribuèrent à relativiser sa situation. On ne l’avait pas tué, ce qui pouvait vouloir dire qu’il était utile de le garder vivant. Il essaya de cultiver cette idée pour se convaincre de garder l’espoir. L’image de Claudia prisonnière ne l’avait pas quitté.

Quatre jours plus tard, rien ne lui permettait d’espérer plus que de raison.

Les échos de la révolution en marche, laissaient filtrer quelques informations.

Elles étaient perceptibles sur les faces décomposées des gardiens. Apparemment, ils ne savaient plus à quel saint se vouer. Les traductions que lui en faisaient ses codétenus disaient que la confusion la plus totale régnait.

On ne savait plus qui était avec qui et pourquoi. Il ressortait des bruits qui couraient, que le Président était mort, que Touti l’aurait tué et qu’il s’apprêtait à envahir la ville avec ses hommes, pour prendre le pouvoir.

Plus tard, d’autres infos disaient que le capitaine Bagorasa, l’âme damnée de Touti, l’aurait trahi et serait sur le point d’être reconnu comme chef du gouvernement provisoire.

C’est ce dernier qui commande les chars et l’armée gouvernementale. De son côté, Touti dirige la police, ce qui ne manque pas d’ajouter à la confusion.

Comme si cela ne suffisait pas, Paul Kagamé : chef de la rébellion Tutsi, armée par Kampala: Front Patriotique Rwandais le FPR , ne manquera pas de jouer sa partition dans cette confusion.

La faim maintenant torturait son ventre et l’infâme bouillon que lui avaient servi ses gardiens avec des rires sarcastiques, n’avait rien pour le calmer.

C’est alors qu’il entra. Tel un fauve affamé échappé de sa cage. Albinos, de près de deux mètres, il semblait être connu dans l’hôtel.

On pouvait percevoir dans le regard des gardiens, la terreur qu’il inspirait. Ensemble ils reculèrent pour se réfugier dans l’arrière salle.

Le torse dénudé, maigre comme un chacal, était couvert de sang. La bête avait déjà eu son lot de chair humaine.

Il jeta un regard glacial sur la misère des hommes. Son crâne dégarni laissait paraître une couronne de long cheveux blanc, brillants de crasse et de sang.

Il tenait à la main une longue machette qui semblait avoir servi récemment et qu’il faisait tournoyer. Puis il vint jouer avec son arme sur les barreaux de la cage.

Ting ting ting ting ! Faisait la musique. Elle semblait venir d’outre-tombe. L’affolement avait gagné la prison. Elle devint panique quand la porte cria sur ses gonds.

L’alien lentement pénétra dans la cage. D’effroi, les hommes se blottirent les uns contre les autres.

Jouant de l’effet qu’il produisait, il s’approcha du visage des malheureux en faisant des grimaces en leur léchant le visage comme s’il voulait goûter sa victime avant de la choisir.

De son arme, il caressait leurs joues. Tétanisés les détenus ne bougeaient pas.

Parvenue à Louis qui, la tête baissée faisait semblant de dormir, la Bête ne se laissa pas tromper. Le tirant par les cheveux, il redressa son visage et recommença le jeu de langue. Or ce faisant, il constata que derrière le maquillage de crasse se cachait une peau blanche.

-Mais qui est là ? Dit-il. Un invité d’honneur.

Un sourire gracieux lassa paraître une dentition en cul de bouteilles cassées maculées de sang.

Il sortit sa langue pour simuler son plaisir de lécher. Il s’appliqua à nettoyer le visage de Louis, qui dans l’instant se demandait comment se sortir de cette affaire.

« Je connais cette tête, dit-il. Je connais cette tête, répéta-t-il. C’est mon ami … »

Louis ouvrit les yeux pour voir la face monstrueuse de son agresseur. Hideuse, pale comme un linceul, boursouflé comme la peau de lézard. Elle montrait une longue cicatrice rouge profonde, allant du front à la joue. Couvrant ainsi un œil aveugle blanc.

Louis étouffa un hurlement. Non pas pour la peur qu’il ressentait mais pour le souvenir qu’il réveilla.

Soudain, le claquement d’une mitrailleuse précéda l’impact d’un chapelet de projectiles dans le mur de la prison.

Par bonheur cela eut pour effet d’éloigner le fauve qui alla trouver un jeu plus intéressant dehors.

– On va se revoir, dit avant de partir.

Cette rémission dura des heures. En fait deux jours.

Elle forgea l’espoir que la bête ait eu la bonne idée de se faire tuer.

Le fracas de la guerre semblait s’être déplacé. Avec le silence, les peurs s’étaient apaisées.

La chaleur insupportable mêlée à la puanteur ambiante assommait les détenus.

Une pale lueur du jour se reflétait sur les visages dégoulinants. On se serait cru dans les fers d’un galion d’esclaves.

Le temps n’existait plus. La mort dans la cage avait pris son dû. La faim ne torturait plus les ventres, elle était devenue familière, apprivoisée.

Le sommeil était un refuge qui se refusait souvent, étant trop sollicité.

Ne restait que le rêve éveillé, le souvenir entretenu, idéalisé.

Louis en était là. Il s’y réfugia. Il se laissa glisser dans les méandres de sa mémoire. Instinctivement, sa douleur resurgit. Elle vint se mêler à une confusion des sens qui s’était installée avec l’apparition de Claudia et la ressemblance, dont il venait avec peine de se l’avouer.

Pour évacuer son trouble qui n’avait le droit d’exister, il tenta de se convaincre qu’il cherchait en toutes femmes, un peu de celle qu’il se refusait à comparer.

Il s’imposa une plongée dans le souvenir de ce que furent les moments les plus forts de sa vie.

Il porta la main à la poche de sa chemise, il fut surpris de ne pas y trouver son paquet de cigarettes. Il réalisa alors qu’il avait arrêté de fumer dix ans auparavant. La résurgence de ce geste oublié le surpris.

D’épuisement, il ne contrôlait plus le cheminement de sa pensée. Il lui semblait inconsciemment vouloir retracer l’épopée sauvage qui l’avait conduit dans ce cul de basse fosse.

Machinalement, il caressait la cicatrice de sa blessure, si près du cœur ; pas assez près pensait-il parfois. Cette mémoire charnelle avait un nom, il s’entendit comme souvent, le murmurer, « Lise »

Fin du troisième extrait


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